À l’occasion du 6e volet du Baromètre de la perception du chômage et de l’emploi, dont les principaux résultats ont été publiés fin novembre, l’Unédic s’associe à l’Observatoire du bien-être du Cepremap.
En s’appuyant sur les données de ce Baromètre, l’Observatoire du bien-être propose ici un premier focus sur l’état d’esprit et la satisfaction dans la vie des demandeurs d’emploi, en regard de l’ensemble des Français. Ces éléments confirment que la période de chômage est difficile, marquée notamment par des effets délétères sur la satisfaction dans la vie et en matière de santé.
Cependant, le Baromètre révèle aussi que les demandeurs d’emploi ne se considèrent pas plus « résignés » que les actifs en emploi et rejettent systématiquement les préjugés à leur encontre : ils sont une écrasante majorité à se considérer « dynamiques », « persévérants », « courageux » et « sociables ». C’est donc un tableau nuancé que livre le Baromètre Unédic, loin des idées reçues parfois répandues.
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Encadré 1 - Mesurer le bien-être
Accéder au site de l'ObservatoireQu’est-ce qu’une vie bonne ? Cette question occupe la philosophie depuis l’Antiquité, avec des réponses divergentes. L’approche par le bien-être subjectif tente de contourner l’impasse théorique en laissant chacun maître de ce qui constitue pour lui une vie bonne ou épanouissante, en posant directement la question : sur une échelle de 0 à 10, à quel point êtes-vous satisfaits de votre vie ? À quel point vous êtes-vous senti heureux hier ? À quel point pensez-vous avoir quelqu’un sur qui compter en cas de besoin ? Venues de la psychologie, ces échelles de mesure ont démontré leurs capacités à révéler les états intérieurs que nous associons communément aux notions de bien-être, de bonheur et de satisfaction. Elles servent de fondement au champ scientifique de l’Économie du bonheur, qui met en relation ces réponses avec les conditions matérielles et sociales des individus, afin de mieux comprendre comment nos sociétés peuvent fabriquer non pas plus de biens matériels, mais une vie meilleure pour leurs membres. Cette approche de l'action publique est désormais encouragée par de nombreuses institutions internationales, à l'image de l'OCDE qui publie des référentiels méthodologiques de mesure du bien-être subjectif.
En France, l'Observatoire du bien-être promeut, dans la lignée de la Commission Stiglitz sur les nouveaux indicateurs de richesse, la prise en compte de ces mesures dans la conception, le pilotage et la réalisation de l'action publique. Les questions mobilisées dans cette publication sont issues de l’enquête trimestrielle sur le bien-être en France.
Pour en savoir plus : Senik, Claudia. « L’économie du bonheur ». Paris, France : Seuil, 2014.
Le chômage reste une épreuve difficile
Les recherches sur le bien-être subjectif mettent en lumière une grande capacité d’adaptation aux aléas de la vie : l’effet d’un mariage, d’un divorce, de l’arrivée d’un enfant sur la satisfaction de vie s’estompe en quelques mois à quelques années. Parmi ces événements, le chômage occupe une place à part. La perte d’emploi entraîne un choc négatif majeur sur la satisfaction dans la vie, dont l’effet perdure dans le temps, jusqu’au retour à l’emploi, voire jusqu’à la retraite pour les plus âgés. Alors que ces résultats portent sur la satisfaction dans la vie, le Baromètre Unédic de la perception du chômage et de l’emploi nous permet de montrer que cet effet est plus général : les demandeurs d’emploi expriment un mal-être lié à leur situation.
On retrouve ainsi (Graphique 1) un écart entre le ressenti des demandeurs d’emploi et celui des actifs en emploi. Pour la satisfaction dans la vie (dernière ligne du graphique), qui sert souvent de résumé du bien-être en général, la différence entre demandeurs d’emploi et actifs employés est de l’ordre de 2 points sur une échelle de 0 à 10. À titre de comparaison, l’enquête Statistiques sur les revenus et les conditions de vie (SRCV) de l’Insee montre que parmi les personnes en emploi, les 10 % recevant les plus hauts revenus déclarent en moyenne une satisfaction dans la vie d’un point supérieure aux 10 % recevant les plus bas revenus.
En termes de satisfaction, être au chômage a un effet négatif sur le bien-être qui va bien au-delà d’un écart important de revenu. Ce mal-être dépasse en outre le cadre évaluatif de la question sur la satisfaction dans la vie : les demandeurs d’emploi sont plus souvent malheureux que les actifs en emploi, et ont le sentiment d’un état de santé plus dégradé.
Afin de détailler le versant émotionnel, nous avons demandé aux répondants de se positionner sur une liste d’axes opposant des états ou émotions positives ou négatives : fatigué / reposé, chanceuse / malchanceuse, etc. (Graphique 2). Il en ressort que le sentiment de fatigue touche pratiquement un répondant sur deux parmi les personnes actives, qu’elles soient en emploi ou qu’elles en cherchent un. Les demandeurs d’emploi sont plus souvent inquiets et stressés.
Un sentiment de perte de contrôle de sa propre vie
Cette expression des sentiments montre aussi que les demandeurs d’emploi sont pratiquement un tiers à s’estimer malchanceux, contre un actif en emploi sur cinq. Les demandeurs d’emploi ont également un moindre sentiment que ce qu’ils font dans leur vie a du sens, de la valeur, et que leur vie dépend d’abord de leurs efforts (Graphique 3). Cette perte de sens et de sentiment de contrôle sur sa vie est en mettre en regard de la centralité du travail dans la société française : parmi les actifs en emploi, 60 % estiment que le travail est plutôt important dans leur vie, et 25 % qu’il est très important. Ces parts sont de 50 % et 42 % respectivement chez les demandeurs d’emploi, qui accordent donc plus d’importance au travail que les personnes en emploi.
L’état de mal-être a des conséquences directes sur le comportement des demandeurs d’emploi. Le sentiment de perte de contrôle sur sa propre vie peut constituer un frein dans la recherche d’emploi, un facteur de découragement. Pour autant, les demandeurs d’emploi n’expriment pas un sentiment de résignation plus fort que celui des actifs en emploi. Ils entendent remédier à la situation, retrouver un emploi, mais se sentent manifestement assez désemparés pour atteindre cet objectif.
En effet, le sentiment de perte de contrôle se lit également dans l’écart – important – entre actifs en emploi et demandeurs d’emploi sur la perception de la difficulté à retrouver un emploi, qu’on prenne en compte ou non le maintien du salaire ou du niveau de compétences. Sur une échelle de 0 (pas du tout facile) à 10 (très facile), les actifs en emploi estiment en moyenne la facilité à retrouver un emploi à 5,5 – là où les demandeurs d’emploi, directement confrontés au problème, l’estiment à moins de 4 (Graphique 4). Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la vérité n’est pas entre les deux : d’autres études montrent que les chômeurs surestiment leurs chances de retour à l’emploi. Il existe donc une base solide au désarroi des demandeurs d’emploi, qui s’accompagne cependant de perceptions positives des demandeurs d’emploi sur leurs qualités personnelles et leur capacité à faire face à cette épreuve (Encadré 2).
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Encadré 2 - Le vécu des demandeurs d'emploi est en contradiction avec les perceptions des actifs en emploi
Accéder aux résultats du BaromètreUn des enseignements constants du Baromètre Unédic depuis sa première parution en 2020 est l’existence d’un fossé entre la manière dont les actifs en emploi imaginent que les demandeurs d’emploi vivent leur période de chômage et la réalité du vécu de ceux-ci. Les actifs en emploi prêtent volontiers aux demandeurs d’emploi des attitudes de culpabilisation, qui sont très majoritairement niées par les intéressés. Les demandeurs d’emploi ont également une vision d’eux-mêmes bien moins négative que ce que se figurent les actifs en emploi : 88 % des demandeurs d’emploi se voient comme « quelqu’un de dynamique », 35 % des actifs en emploi imaginent que les chômeurs se considèrent ainsi ; 90 % des demandeurs d’emploi s’estiment « persévérants » (46 % des actifs en emploi) ; 82 % des demandeurs d’emploi se jugent « courageux » (39% des actifs en emploi) ; 79 % des demandeurs d’emploi se déclarent « sociables » et affirmer continuer « à rechercher activement la présence des autres » (60 % des actifs en emploi leur prêtent ce sentiment).
Un risque d’isolement plus important
La satisfaction à l’égard des relations avec les proches ainsi que le sentiment d’avoir quelqu’un sur qui compter constituent un des points forts du bien-être des Français, avec des réponses moyennes proches de 8 dans la population française dans son ensemble. Ces éléments sont centraux dans la construction du bien-être, sur un pied d’égalité (au moins) avec le revenu.
Or, la perte d’emploi s’accompagne d’une fragilisation de l’ensemble des relations sociales. Les demandeurs d’emploi déclarent ainsi plus souvent se sentir isolés. Ils sont également moins satisfaits en moyenne de leurs relations avec leurs proches, ont moins le sentiment d’avoir quelqu’un sur qui compter en cas de besoin, et ont moins confiance dans les autres en général (Graphique 5). Le chômage va donc de pair avec un sentiment de lien social dégradé, et ce au moment où les liens sociaux sont les plus nécessaires, tant pour faire face aux conséquences de la perte de revenus liée au chômage que pour retrouver un emploi.
Une défiance à laquelle échappe le service public de l’emploi
Le manque de confiance des demandeurs d’emploi à l’égard d’autrui s’étend aux structures organisées, notamment à l’État. Les acteurs du monde du travail (organisations syndicales, organisations patronales ou employeurs en général) ne sont pas épargnés(Graphique 6). Dans ce paysage, le service public de l’emploi (Unédic, France Travail, missions locales, etc.) apparaît comme la seule entité dont l’image résiste à l’épreuve du chômage. Certes, la moyenne est peu élevée (4,6/10), mais le maintien de cette confiance relative parmi les demandeurs d’emploi montre que ces organismes effectuent ce qui est attendu d’eux.
L’importance d’un horizon de retour rapide à un emploi stable
Parmi les demandeurs d’emploi, l’horizon du retour à l’emploi constitue une ligne de séparation majeure en termes de bien-être et de confiance. Ainsi, les demandeurs d’emploi qui pensent avoir une probabilité élevée de retrouver au cours des trois prochains mois un CDD de plus de 6 mois ou un CDI ont un niveau de bien-être proche de celui de l’ensemble de la population (Graphique 7). Inversement, ceux qui estiment cette probabilité faible sont beaucoup plus insatisfaits et malheureux, mais aussi défiants envers les autres et les institutions.
Ces écarts illustrent l’importance des dispositifs qui favorisent un retour rapide vers un emploi stable – cet écart étant pratiquement inexistant si on regarde la probabilité de retrouver un emploi en contrat court de moins de six mois.
Un effet protecteur reconnu des allocations chômage
Un fait saillant des recherches sur le bien-être est que nous éprouvons en général une aversion aux chocs et aux risques : toutes choses égales par ailleurs, la plupart des gens préfèrent des revenus réguliers à des revenus irréguliers, même si le montant total de ces derniers est un peu plus élevé. Il y a donc des raisons de penser que la conscience de ses droits à l’Assurance chômage constitue un facteur de bien-être.
L’existence des allocations-chômage fournit ainsi une protection contre les aléas de la vie professionnelle dont l’impact est reconnu et bien identifié par la plupart des répondants. Ainsi, 80 % des personnes certaines de leurs droits et 75 % de celles qui pensent avoir ces droits estiment que l’existence de ces allocations réduit leur inquiétude face à la possibilité de perdre involontairement leur emploi (Graphique 8). De même, l’existence des allocations chômage réduit nettement le risque perçu des changements volontaires de vie professionnelle, là aussi pour environ les trois quarts des personnes qui pensent y avoir droit.
Conclusion
Ces résultats du volet 6 du Baromètre de la perception du chômage et de l’emploi viennent renforcer et approfondir le constat que la perte d’emploi demeure une épreuve dure pour la plupart des demandeurs d’emploi, qui vivent mal leur période de chômage, que ce soit sur le plan émotionnel, de l’évaluation de leur vie en général ou de son sens. Au-delà de la situation personnelle, le chômage dégrade aussi les relations sociales, la confiance en soi ainsi que la confiance dans les autres et dans les institutions, ce qui constitue autant de nouveaux freins à la recherche d’emploi. La profondeur de ce choc semble sous-estimée par les personnes en emploi, qui sont aussi plus optimistes sur la facilité à retrouver un emploi que ne le sont les personnes effectivement confrontées au chômage. Plus encore que pour les actifs en emploi, le travail occupe une place centrale dans les valeurs des demandeurs d’emploi, et la perspective d’un retour rapide à l’emploi constitue la plus puissante parade aux dégâts du chômage.
Malgré ce bilan mitigé, deux éléments positifs se distinguent : d’une part, les demandeurs d’emploi ne se sentent pas résignés, même face à un sentiment accru de difficulté qui engendre fatigue et stress. D’autre part, le service public de l’emploi ne subit pas la perte de confiance que connaissent les autres institutions parmi les demandeurs d’emploi – même si le niveau absolu de confiance est améliorable.
Les actifs en emploi, de leur côté, sont globalement conscients de l’existence de leurs droits à l’Assurance chômage. La conscience du droit aux allocations chômage constitue un puissant rempart contre l’angoisse de la perte d’emploi, et est perçu comme un filet de sécurité efficace lors de changements volontaires dans la vie professionnelle
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Méthodologie
Accéder aux résultats du BaromètreCette étude a été réalisée en ligne, avec l’institut Elabe, du 4 au 27 septembre 2024. Etude quantitative, menée auprès d’un échantillon de 4 522 individus, représentatif de la population française âgée de 15 ans et plus. Les détails de la méthodologie et d’échantillonnage sont indiqués dans la synthèse de l’étude.