Le 6e volet du Baromètre de la perception du chômage et de l'emploi, réalisé avec le cabinet Elabe, livre ses enseignements : attachés à l'Assurance chômage, les Français ont des opinions nuancées - et parfois surprenantes - sur les modalités de cette protection et sur celles et ceux qui en bénéficient.
« Le Baromètre nourrit les réflexions des partenaires sociaux et de l’Unédic, il est important pour nous de suivre les évolutions des perceptions du chômage et de l’emploi à travers les années et leurs aléas », souligne Jean-Eudes Tesson, président de l'Unédic.
« Les perceptions des Français sur le chômage et les demandeurs d’emploi exercent une influence majeure ; il est essentiel pour l’Unédic de les prendre en compte et de les confronter aux réalités du chômage et au vécu des demandeurs d’emploi », considère Patricia Ferrand, vice-présidente de l'Unédic.
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Un module de visualisation des résultats du baromètre
Pour documenter le regard porté sur le chômage par les Français et les demandeurs d'emploi, l'Unédic propose un module de datavisualisation. Cet outil vous permettra de consulter les principaux résultats, de comparer la perception des Français et celle des demandeurs d'emploi et d'observer l'évolution de la perception du chômage entre les différentes éditions du Baromètre.
Depuis 2020, certaines représentations largement partagées par l’opinion sont persistantes
Le 6e volet du Baromètre de la perception du chômage et de l’emploi révèle que certaines représentations, très répandues dans l’opinion publique, ont peu évolué depuis le 1er volet en 2020 :
- 7 Français sur 10 sont touchés, de près ou de loin, par le chômage : 10 % des Français (âgés de 15 ans et plus) sont actuellement inscrits à France Travail, 49 % ne sont pas aujourd’hui inscrits mais l’ont été par le passé et 10 % n’ont jamais personnellement connu le chômage mais ont un proche qui est actuellement demandeur d’emploi
- Les allocations chômage sont perçues comme un droit puisqu’issues de cotisations (90 %), comme un bouclier permettant à la plupart des chômeurs de vivre dignement (88 %) et plus globalement, comme permettant de lutter contre la pauvreté (76 %)
- Les Français partagent massivement l’idée que tout le monde peut connaître une période de chômage au cours de sa carrière (95 %) et que le chômage est davantage une situation subie plutôt que choisie (75 %)
- 1 demandeur d’emploi sur 3 (33 %) déclare affronter la critique au quotidien (« on me méprise », « on me dit que je suis assisté », « on me dit que je suis paresseux ») et près de 6 sur 10 (59 %) font régulièrement l’expérience d’une forme d’inquisition (« on me questionne avec insistance sur ma recherche d’emploi », « on a tendance à ne pas me croire lorsque je dis que je cherche activement un emploi »)
Des Français attachés à une Assurance chômage protectrice contre les conséquences de la perte d’emploi et levier de transition professionnelle
La situation de l’emploi est perçue comme ne s’améliorant pas depuis 2022 : 50 % des Français considèrent qu’elle se dégrade, 40 % (+5 points en 1 an) qu’elle reste la même et 10 % qu’elle s’améliore, une proportion en recul de 4 points en 1 an et de 6 points en 2 ans.
En conséquence, 3 actifs sur 10 (28 %) jugent probable de connaître une période de chômage dans les 2 prochaines années, une proportion en hausse pour la 2e année consécutive (+4 en 1 an, +6 en 2 ans) et 6 demandeurs d’emploi sur 10 (60 %) jugent peu ou pas probable de retrouver un emploi durable.
Aux yeux des Français, le chômage est la résultante d’une conjonction de facteurs économiques et sociétaux (3 réponses possibles, total des citations) : les gens qui ne veulent pas travailler (37 %, +3) ; le poids des charges sociales des entreprises (33 %, +6) ; la tendance des entreprises à faire plus avec moins de collaborateurs (27 %,-3) ; le trop faible contrôle des chômeurs fraudeurs (25 %, =) ; le montant des allocations versées aux chômeurs (24 %, =) ; la destruction d’emplois par l’évolution des technologies, la numérisation, la robotisation (21 %, -5) ; les délocalisations à l’étranger (21 %, -5) ; la faiblesse de la croissance économique (20 %, +4) ; des exigences excessives ou contradictoires de la part des recruteurs (19 %, =) et la réticence des entreprises à embaucher (19 %, =).
Le chômage est pour beaucoup synonyme de difficulté – une majorité de demandeurs d’emploi et un tiers des actifs en emploi estiment difficile de retrouver un emploi lorsque l’on est au chômage, en particulier de retrouver un emploi au même salaire – et synonyme de perte de revenus : 75 % des actifs en emploi estiment que s’ils se retrouvaient demain au chômage, leurs revenus seraient inférieurs à leurs revenus actuels, 62 % vont jusqu’à penser que leur situation financière serait tendue. Les demandeurs d’emploi corroborent cette opinion : 75 % d’entre eux affirment que depuis qu’ils sont au chômage, la situation financière de leur foyer s’est effectivement dégradée.
Dans ce contexte, 60 % des Français se disent attachés au modèle français d’Assurance chômage, une proportion en hausse de 3 points sur 12 mois, une progression principalement observée parmi les actifs en emploi (59 %, +6). Ainsi, 73 % considèrent que le fait qu’il existe des allocations chômage réduit l’inquiétude de perdre son emploi.
Bouclier face à la perte d’emploi, les allocations chômage sont également perçues comme un levier pour réaliser les transitions professionnelles :
- 91 % estiment qu’elles peuvent être une aide pour se reconvertir, changer de métier ou d’employeur, ou pour créer son entreprise
- 78 % que le chômage est un passage entre deux emplois
- 63 % une opportunité qui invite à repenser, réfléchir à son projet professionnel
Parmi les actifs (72 %) qui ont changé d’emploi au cours de leur vie professionnelle (changement d’employeur, de métier, reconversion, passage du salariat à l’indépendance), 37 % (soit 27 % des actifs) n’auraient pas pu le faire sans les allocations chômage. En outre, le fait qu’il existe des allocations chômage rend moins risqués les changements volontaires de vie professionnelle pour 3 Français sur 4 (77 %). Un point de vue partagé par les 30 % d’actifs qui ont actuellement pour projet de changer de métier (78 %).
Les Français « noircissent » la situation de l’emploi et connaissent mal leurs propres droits
Les Français « noircissent » le tableau de la situation de l’emploi et ont une image déformée du profil des demandeurs d’emploi :
- 60 % des Français surestiment le taux de chômage, ils l’établissent en moyenne à 15,3 % (en réalité, 7,3 % au 2e trimestre 2024, dernières données en date lors de la passation du questionnaire)
- 87 % surestiment la part de demandeurs d’emploi qui touchent une allocation chômage (au 2e trimestre 2024, seuls 40 % des demandeurs d'emploi inscrits à France Travail sont indemnisés par l'Assurance chômage)
- 56 % sous-estiment la part de demandeurs d’emploi qui ont une activité professionnelle (au 2e trimestre 2024, la moitié des allocataires pris en charge par l'Assurance chômage travaillent)
Les Français ont une connaissance partielle des situations qui ouvrent les droits au chômage et même de leurs propres droits : 61 % des actifs en emploi ne savent pas avec certitude s’ils auraient le droit ou non de bénéficier des allocations chômage en cas de perte de leur emploi.
Approximations, idées fausses et idées reçues alimentent les critiques à l’égard du système et de ses bénéficiaires
Les critiques envers les allocations chômage sont répandues, mais ne sont pas majoritaires :
- 53 % ne sont pas d’accord avec l’idée que la durée moyenne des droits aux allocations chômage est trop longue (47 % se disent d’accord)
- 54 % ne considèrent pas les allocations chômage comme un frein au retour à l’emploi (46 % d’accord, -2 en 1 an)
- 63 % rejettent l’idée que le montant des allocations chômage est trop élevé (37 % d’accord, -2)
En outre, les allocations chômage sont très majoritairement perçues comme « utiles » car elles permettent aux salariés de « percevoir un revenu de remplacement en cas de perte d’emploi » (93 %).
Les critiques envers les demandeurs d’emploi existent également. Ainsi, 61 % des Français estiment que les chômeurs ont des difficultés à trouver du travail car ils ne font pas de concession dans leur recherche d’emploi, mais plus de 6 Français sur 10 refusent de qualifier les demandeurs d’emploi de « fraudeurs » ou « d’assistés ».
L’information sur les réalités du chômage, des demandeurs d’emploi et des modalités de l’Assurance chômage produit mécaniquement un recul de la critique. Après avoir pris connaissance d’informations chiffrées sur le chômage et les demandeurs d’emploi (taux de chômage, part des demandeurs d’emploi qui ne touchent aucune allocation chômage et qui ont une activité professionnelle, durée moyenne du chômage) :
- Seuls 39 % des Français considèrent que les allocations chômage sont un frein au retour à l’emploi (ils étaient 46 % avant d’avoir pris connaissance de ces informations, soit un recul de la critique de 7 points)
- 38 % estiment que la durée moyenne des droits aux allocations chômage est trop longue (47 % avant, soit un recul de 9 points)
- 35 % jugent que la plupart des chômeurs fraudent pour toucher des allocations (contre 37 % avant, recul 2 points)
- 32 % sont d’accord avec l’idée que les chômeurs sont des assistés (contre 36 % avant, recul 4 points)
Exposés à un cas concret simulé à partir de la réglementation en vigueur sur le salaire de référence et le montant de l’allocation – une personne qui perdrait un emploi à temps plein qu’elle occupait depuis plus de six mois, pour un salaire mensuel net de 2000 € percevrait une indemnisation chômage d’environ 1350 € net par mois – 57 % des Français jugent ce montant juste comme il faut, 28 % l’estiment même trop faible et seuls 15 % le pensent trop élevé.
Les Français projettent l’image de « chômeurs fragilisés », voire « abimés », mais L’expérience des demandeurs d’emploi contredit en grande partie ces perceptions
Entre demandeurs et non-demandeurs d’emploi, un fossé sépare la perception du vécu :
- 90 % des demandeurs d’emploi se voient comme des individus persévérants (46 % des actifs en emploi et inactifs pensent qu’ils le sont), 88 % dynamiques (contre 35 %) et 82 % courageux (contre 39 %).
- En parallèle, 67 % des actifs en emploi et inactifs s’imaginent que les demandeurs d’emploi perdent des compétences (seuls 46 % des demandeurs d’emploi disent que cela correspond à la réalité de leur quotidien), 67 % qu’ils sont malchanceux (contre 45 %) et 59 % qu’ils ont tendance à s’éloigner des autres (contre 35 %).
- 71 % des actifs en emploi et inactifs s’imaginent que les demandeurs d’emploi doivent se sentir dépendants de la société (seuls 41 % le ressentent), 60 % qu’ils doivent avoir le sentiment de profiter du système (seuls 17 % ont ce sentiment) et 55 % qu’ils doivent culpabiliser au quotidien et avoir le sentiment de pouvoir en faire plus, de chercher davantage un emploi (seuls 24 % des demandeurs d’emploi ressentent cette culpabilité).
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Chômage et chômeurs, des perceptions pétries de paradoxes
David Bourguignon, professeur en psychologie sociale à l’Université de Lorraine-Metz, travaille sur la stigmatisation des personnes sans emploi.« Il existe un paradoxe, déjà documenté en 2003 par des chercheurs suédois qui ont interrogé des travailleurs et des chômeurs sur les causes du chômage. De cette étude[1], il est apparu que 60 % des participants, constitués à la fois de travailleurs et de chômeurs, rendaient compte du chômage au manque d’emploi, donc une problématique économique. Paradoxalement, 72 % de ces mêmes participants estimaient que si les chômeurs le voulaient vraiment, ils pourraient retrouver du travail ! Du point de vue de la psychologie, cela peut s’expliquer par ce qu’on appelle une "illusion positive", à savoir la volonté d’une majorité des travailleurs d’entretenir la vision d’un monde juste, d’une vie économique où la méritocratie l’emporte. C’est une idéologie qui tend à mettre en exergue la responsabilité des chômeurs. Les chômeurs aussi peuvent souscrire à cette vision méritocratique, "si je veux, je peux", qui correspond au besoin d’éprouver la maîtrise de sa vie, de sauvegarder une bulle de contrôle, car l’idée que l’absence de travail est la principale explication du chômage les dépossède en partie de cette mainmise à laquelle nous aspirons tous. »
[1] Furaker, B., & Blomsterberg, M. (2003). Attitudes towards the unemployed. An analysis of Swedish survey data. International Journal of Social Welfare, 12, 193-203
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Méthodologie
Cette étude a été réalisée en ligne, avec l’institut Elabe, du 4 au 27 septembre 2024. Etude quantitative, menée auprès d’un échantillon de 4 522 individus, représentatif de la population française âgée de 15 ans et plus. Les détails de la méthodologie et d’échantillonnage sont indiqués dans la synthèse de l’étude.