Analyses

Emploi et IA générative : panorama des travaux économiques existants

L'intelligence artificielle générative, popularisée par ChatGPT, Gemini ou LLaMA, va-t-elle transformer le marché de l'emploi ? Afin de mieux éclairer cet enjeu, l'Unédic passe en revue une série de travaux récents.

Unédic

Laure Baquero

22 janvier 2025

L’intelligence artificielle (IA) fait partie des technologies dite « à usage général », c’est-à-dire susceptible d’avoir un impact sur la société à travers ses applications à de nombreuses professions dans tous les secteurs de l’économie. Si l’IA n’est pas nouvelle, l’IA générative (IAG) l’est et déferle en générant beaucoup d’intérêt, d’interrogations, d’espoirs, mais aussi de doutes et de craintes. De nombreux experts issus de diverses spécialités (économie, sociologie, philosophie, juridique, etc.) se sont déjà penchés sur le sujet. En économie, une thématique rapidement abordée est celle des implications de l’IA générative sur l’emploi.

Cette publication propose une synthèse des principaux travaux économiques prospectifs parus sur le sujet à date. Après avoir fourni quelques éléments de contexte et d’analyse économique, ce travail restitue les grands résultats sur les effets de l’IAG sur l’emploi, ainsi que sur la productivité et les salaires. Certains aspects font quasiment l’unanimité, comme la vraisemblance de destructions d’emplois, l’augmentation attendue de la productivité ou encore le creusement des inégalités salariales. En revanche, le débat persiste sur l’ampleur de ces phénomènes. Etant donné le caractère encore relativement nouveau et évolutif de l’IAG, ce travail aborde aussi quelques-uns de ces aspects peu ou pas encore explorés. Il s’attarde ainsi sur les retombées envisageables en terme de chômage : elles s’avèrent imprécises et appellent des efforts en matière de formations initiale et continue pour prévenir ou limiter le chômage.

Le présent travail vise à donner une grille de lecture au débat entourant les effets de l’IAG sur l’emploi. La littérature économique foisonnante sur ce sujet n’a pas encore pu explorer toutes ses facettes et incidences sur le marché de l’emploi. Il conviendra de poursuivre la veille sur le sujet.

Les principaux enseignements

  • L'IA générative est une nouvelle révolution technologique, mais alors que les précédentes révolutions technologiques se sont traduites par l’automatisation de tâches effectuées par des travailleurs peu ou moyennement qualifiés, privant une partie de ces derniers de leur emploi, l’IAG menacerait – compte tenu de son champ d’application – des tâches effectuées par des travailleurs plus qualifiés, qui avaient été plutôt préservés jusque-là de ce type de risque.
  • L'anticipation des effets de cette révolution est difficile, ainsi que le suggère l'exemple des technologies de l'information et de la communication (TIC). La révolution technologique des TIC, qui a démarré dans les années 1980, a été associée à un phénomène de destruction créatrice en matière d'emploi. Mais ses effets sur le volume d'emploi ou la productivité font encore débat aujourd'hui.
  • Un consensus existe sur la géographie attendue des effets de l'IAG. Les travaux consacrés au sujet concluent unanimement que la révolution IAG se déploierait essentiellement dans les économies avancées.
  • La plupart des emplois peu qualifiés seraient épargnés par le risque d'automatisation des tâches par l'IAG. En outre, les tâches manuelles, celles relevant des relations humaines et celles impliquant des prises de décisions seraient hors du champ de l’IAG et les métiers intensifs dans ce type de tâches ne seraient pas ou peu concernés par cette révolution. 
  • La cohabitation de deux effets simultanés fait également consensus :
    • Effet de substitution : les emplois constitués majoritairement de tâches administratives et répétitives seraient menacés de disparaitre car automatisés par l’IAG.
    • Effet de valorisation : les emplois comportant une minorité de tâches répétitives verraient leur productivité augmentée puisque l’IAG pourrait réaliser ces tâches, libérant du temps aux actifs concernés pour se concentrer sur les autres tâches de leur profession, voire pour en accomplir de nouvelles.
  • Il n'y a pas de consensus sur l'ampleur de ces effets ou sur la part des emplois concernés. Les avis divergent sur les limites des capacités de l’IAG et donc sur la détermination des tâches pouvant lui être confiées. Or cette distinction revêt une importance capitale puisqu’elle influe sur la part d’emplois potentiellement menacés dans l’emploi total ou a contrario la part de ceux potentiellement valorisés par l’IAG. L'éventail des estimations va de 5 % à 33 % pour les emplois potentiellement menacés et de 13 % à 27 % pour les emplois potentiellement valorisés. 
  • Il existe des incertitudes sur l'ampleur de la hausse de la productivité. Tous les travaux recensés pour cette revue de la littérature concluent à un effet positif de l’IAG sur la productivité du travail, qu’ils relèvent d’une approche macroéconomique ou microéconomique. En revanche, les ordres de grandeurs divergent - parfois sensiblement.
  • Un effet sur le chômage est vraisemblable. Le processus de destruction créatrice devrait se manifester d'abord par des destructions, qui ont un caractère plus tangible que les créations d'après la littérature économique. En effet, les potentielles créations d'emploi générées par l'IAG sont peu documentées. Un risque de chômage lié à la révolution IAG existe donc pour une partie de la population. Face à ce risque, les travaux étudiés soulignent l'importance des efforts en matière de formation initiale et de formation continue.

Méthodologie des travaux et ordres de grandeurs des emplois exposés à l'IAG

 

Méthodologie

Volume des emplois potentiellement concernés

Exemples

Acemoglu (2024)

Modèle basé sur l'appréciation des tâches : 20 % des tâches serait exposées à l'IA, dont 23 % seraient automatisables de façon rentable selon la littérature économique.

4,6 % des emplois exposés aux Etats-Unis.

Emplois peu qualifiés.

Commission de l’IA (2024)

Modèle basé sur l'appréciation des tâches en distinguant les professions selon 2 critères : facilité d'automatisation et proportion des tâches automatisables au sein d'une profession

5 % des emplois en France.

Secrétaires, comptables, télévendeurs.

Goldman Sachs (2023)

Suppose que l'IAG peut accomplir les tâches jusqu'à un certain niveau de difficulté et pondère les tâches selon leur importance et leur complexité. Suppose également que les professions dont une part significative est effectuée à l'extérieur ou à des travaux physiques ne peuvent pas être automatisées.

Emplois exposés : 24 % en zone euro ; 25 % aux Etats-Unis dont 7 % menacés et 63 % valorisés.

Professions administratives et juridiques.

BIT (2023)

Modèle basé sur l'appréciation des tâches en distinguant les professions selon 2 critères : facilité d'automatisation et proportion des tâches automatisables au sein d'une profession.

Emplois menacés : 2,3 % dans le monde, 5,1 % dans les pays avancés Emplois valorisés : 13 % dans le monde et 13,4 % dans les pays avancés.

Professions administratives.

FMI (2024)

Calcule le degré de chevauchement entre les applications d'IA et les capacités humaines requises dans chaque profession, puis lui ajoute l'indice de complémentarité potentielle de l'IA en y ajoutant des informations sur le contexte social, éthique, physique, niveaux de compétences requis.

Emplois menacés : 33 % des emplois dans les pays avancés. Emplois valorisés : 27 % des emplois dans les pays avancés.

Professions intellectuelles et scientifiques, services aux particuliers, commerçants & vendeurs, métiers manuels & artisanat.

McKinsey (2024)

Demande d'emploi par secteur et profession modélisée avec et sans IA et comparaison des deux trajectoires.

Entre 2022 et 2030, transition professionnelle de 4,6 % à 6,5 % de l'emploi en Europe, 6,1 % en France et 7,5 % aux Etats-Unis.

Education - formation, les STIM (Science, Technologie, Ingénierie et Mathématiques), les métiers créatifs, les juristes.

Roland Berger (2023)

Analyse du potentiel d'automatisation par l'IA générative des 3 123 tâches composant les 436 métiers des secteurs d'activité de la nomenclature CITP de l'OIT.

Emplois menacés : 8,8 % en France Emplois valorisés : 15 % de l'emploi en France.

Employés de bureau, administratifs, comptables.

Sources : Acemoglu (2024), « The simple macroeconomics of AI » ; Aghion & al. (2024), « IA : Notre ambition pour la France », Commission de l’intelligence artificielle ; Hatzius & al. (2023), « The potentially large effects of artificial intelligence on economic growth » ; Gmyrek & al. (2023), « Generative AI and jobs: A global analysis of potential effects on job quantity and quality », Working paper 96 du BIT ; Cazzaniga & al. (2024) « Gen-AI: Artificial intelligence and the future of work », rapport du FMI SDN/2024/001 ; Hazan & al. (2024), « A new future of work: The race to deploy AI and raise skills in Europe and beyond. », McKinsey ; Roland Berger (2023), « L’impact de l’IA générative sur l’emploi en France » ; Unédic.