Analyses

Quel accès à l'emploi durable pour les allocataires seniors ?

Dans le prolongement de ses travaux précédents sur les seniors, l'Unédic publie une étude sur l'accès à l'emploi durable des allocataires seniors. L'objectif est double : d'abord, apporter une meilleure compréhension de la diversité des profils des allocataires seniors ; ensuite, identifier l’âge à partir duquel des difficultés pour accéder à un emploi durable s’amorcent, les allocataires les plus touchés et les pistes explicatives.

10 avril 2025 - Irène Rasia

La réglementation d’assurance chômage prévoit des règles spécifiques auprès des allocataires âgés de 55 ans et plus, afin de tenir compte de leurs plus grandes difficultés à accéder à un emploi. A partir de cet âge, certains allocataires peuvent ainsi par exemple être couverts plus longtemps par leur droit chômage. L’objectif de cette étude est double : apporter une meilleure compréhension de la diversité des profils au sein des allocataires seniors puis, à partir de ces résultats, identifier s’il existe un « âge pivot » à partir duquel des difficultés d’accès à un emploi durable apparaissent. Nous examinons également les profils les plus touchés par ces difficultés.

On considère qu’un allocataire « accède à un emploi » lorsque l’on identifie un emploi en cours dans la période étudiée, c’est-à-dire dans les 12 mois qui suivent l’ouverture du droit chômage dans le cadre de cette étude. Cet emploi est considéré durable si sa durée est d’au moins 6 mois (contrats à durée limitée y compris). Enfin, pour cette étude, la notion de seniors est élargie aux 50-54 ans à des fins de comparaisons. 

350 000 personnes âgées de 50 à 65 ans ont ouvert un droit à l'Assurance chômage en 2022

En 2022, 350 000 personnes âgées de 50 ans à 65 ans ont ouvert un droit à l’Assurance chômage (17 % de l’ensemble, tous âges confondus) à la suite de la perte involontaire d’un emploi, leur assurant un revenu de remplacement basé entre autres sur leurs revenus salariés passés. En moyenne, par rapport aux 16-49 ans, les allocataires seniors sont moins souvent diplômés du supérieur et étaient moins souvent en emploi non-durable avant l’ouverture de leur droit chômage. Ils ne représentent cependant pas un groupe homogène. Par exemple, alors qu’ils ont en moyenne des allocations plus élevées que les 16-49 ans, ils sont aussi nombreux (15 %) à avoir des allocations journalières inférieures au RSA. 

Ainsi, pour souligner la diversité de leurs parcours, nous distinguons 5 profils d’allocataires seniors :

  • Le premier groupe, « santé » (18 % des allocataires seniors), englobe les allocataires dont le parcours d’emploi récent est marqué par des problèmes de santé. Ainsi, leurs emplois ont été, pour moitié, rompus par un licenciement pour inaptitude physique. Plus âges, ils étaient également plus souvent employés dans des entreprises de grande taille (250 salariés ou plus).
  • Le deuxième groupe, « particulier employeur » (9 % des allocataires seniors), correspond aux personnes qui travaillaient à domicile pour des particuliers-employeurs avant leur ouverture de droit (aide et assistance aux personnes âgées ou handicapées, entretien et travaux ménagers…). Ce groupe, plus âgé, rassemble presqu’exclusivement des femmes, aux allocations journalières les plus faibles, pour un tiers en-dessous du niveau du RSA.

Ces deux premiers groupes sont caractéristiques des seniors ; les plus jeunes en feraient moins souvent partie si la typologie étudiée au cours de cette étude leur était appliquée. Pour les trois autres groupes, les allocataires restants sont regroupés selon le type de contrat qu’ils ont perdu avant leur ouverture de droit chômage. Il y a 3 grands types de contrat, qui donnent leurs noms aux groupes :

  • Le troisième groupe, « CDI » (37 % des allocataires seniors), est composé de personnes plus diplômées que l’ensemble des allocataires seniors, plus fréquemment issues de petites entreprises et avec des allocations journalières plus élevées.
  • Le quatrième groupe, « CDD » (25 % des allocataires seniors), présente des personnes avec des allocations journalières plus faibles que l’ensemble des allocataires seniors. Elles travaillaient plus souvent à temps partiel, la moitié des allocataires du groupe occupaient un CDD non durable.
  • Le cinquième et dernier groupe, « intérim » (10 % des allocataires seniors), est composé aux trois-quarts d’hommes, avec des contrats très courts. Ils effectuaient majoritairement leurs missions dans des entreprises de taille moyenne et grande, concentrées pour les deux tiers dans 3 secteurs d’activité : l’industrie, la construction et le transport et l’entreposage.

Au travers de cette typologie, nous mettons en lumière des différences d’accès à l’emploi durable entre les allocataires seniors. En effet, même si 28 % ont accédé à un emploi durable dans les 12 mois qui ont suivi leur ouverture de droit, cette part varie de 16 % pour le groupe « santé » à 35 % pour le groupe « CDD ».

56 ans, un "âge pivot" à partir duquel le taux d'accès à l'emploi devient plus faible

L’analyse de l’accès à l’emploi met en évidence un « âge pivot » autour de 56 ans, à partir duquel le taux d’accès à l’emploi durable devient significativement plus faible qu’à 50 ans, de 2 à 4 points, selon le groupe. Ce moindre accès avec l’âge n’est pas seulement tiré par la hausse avec l’âge du nombre d’allocataires du groupe « santé », puisqu’il concerne chaque groupe (à partir de 58 ans pour le groupe « intérim »). Il touche également les bénéficiaires du CSP (contrat de sécurisation professionnelle à destination de licenciés économiques), qui bénéficient d’un suivi personnalisé et intensif. Entre 50 et 61 ans, le taux d’accès à l’emploi durable est divisé par plus de 3 pour les groupes « CDI » et « santé » (-26 et -17 points, significatif), et par environ 2 pour les groupes « CDD » et « intérim » (-19 et -14 points, significatif).

Une ancienneté très élevée dans l’emploi perdu apparaît comme un facteur clé pour comprendre l’intensité de la chute du taux d’accès à l’emploi durable avec l’âge. En effet, l’effet négatif de l’âge est plus élevé pour les allocataires qui avaient plus de 10 ans d’ancienneté dans leur CDI : leur taux d’accès devient significativement plus faible dès 54-55 ans et décroche ensuite de celui des allocataires qui avaient perdu un CDI avec moins d’ancienneté. Ainsi, entre 50 et 61 ans, la baisse de leur taux d’accès à l’emploi durable est environ 1,75 fois plus forte que celle des allocataires qui avaient perdu un CDI d’une durée comprise entre 3 et 10 ans.

Des pistes d'explications face à la chute estimée de l'accès à l'emploi des allocataires seniors

Comment expliquer ces résultats ? D’éventuelles difficultés d’appariement entre les emplois recherchés par les seniors et les emplois proposés par les entreprises pourraient mener à moins d’embauches. En effet, plus les allocataires seniors sont âgés et plus ils sont par exemple nombreux à chercher un emploi à temps partiel ou proche de leur domicile. Ces modifications des préférences avec l’âge pourraient répondre à des contraintes personnelles, notamment pour des questions de santé. A cela pourrait s’ajouter une baisse de l’accès à la formation avec l’âge, qui s’amorce dès 45 ans puis s’accélère ensuite. Ainsi, leurs compétences, moins à jour, pourraient être plus éloignées de celles que les employeurs recherchent.

Cette problématique doit aussi être abordée du côté employeur. En effet, la littérature économique met en évidence l’existence de discriminations à l’embauche, qui pourraient expliquer une partie de la baisse du taux d’accès à l’emploi avec l’âge. Pourtant, la littérature économique note une complémentarité des compétences entre les salariés jeunes et les salariés plus âgés, qui mènerait à une meilleure productivité globale de l’entreprise.

Enfin, à partir de 58-59 ans s’ajoutent des problématiques relatives à la proximité à la retraite, qui pourrait modifier les comportements de recherche d’emploi de certains allocataires (moins de démarches, moins de concessions), en particulier de ceux qui ont le moins de contraintes financières. En effet, le meilleur accès à l’emploi durable des personnes avec des allocations journalières plus élevées – en lien avec des revenus perdus avant l’entrée au chômage plus élevés – disparait à 58-61 ans. Ce pourrait, enfin, aussi être le signe d’une raréfaction des offres adaptées à ces profils avec l’âge.