Analyses

La démission pour projet professionnel - décembre 2024

Entré en vigueur fin 2019, le dispositif de démission pour projet professionnel (ou démission-reconversion) concernait fin 2023 25 000 allocataires de l'Assurance chômage, pour des dépenses de 475 M€.

Unédic

Florine Martin et Emilie Daudey

10 décembre 2024

Le dispositif de démission pour projet professionnel (appelé également démission-reconversion), entré en vigueur en novembre 2019, permet, sous certaines conditions, aux démissionnaires de bénéficier de l’Assurance chômage lorsqu’ils poursuivent un projet de reconversion professionnelle. 

Après une montée en charge plutôt lente, le dispositif, qui semble séduire prioritairement les diplômés, les cadres ainsi que les personnes d’âge intermédiaire, a aujourd’hui trouvé son public : fin 2023, 25 500 allocataires de l’Assurance chômage bénéficient de ce dispositif, pour des dépenses de 475 M€ pour le régime en 2023. Dans 7 cas sur 10, le dispositif est utilisé dans l’objectif d’une création d’entreprise. Il ne concerne cependant qu’une part négligeable de l’ensemble des démissions (1 %).

Ces éléments seront approfondis les mois à venir, notamment afin de mieux comprendre l’accès à ce dispositif et les parcours des bénéficiaires.

Un dispositif entré en vigueur fin 2019

Si la règlementation d’assurance chômage permettait déjà une indemnisation du chômage dans certaines situations de démissions dites légitimes, le dispositif de démission-reconversion est quant à lui destiné spécifiquement à couvrir les transitions professionnelles pour les personnes souhaitant quitter leur emploi pour changer d’orientation professionnelle.

Depuis 2019, s’ils ont démissionné pour poursuivre un projet professionnel, les demandeurs d’emploi peuvent demander à bénéficier de l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE), à condition de remplir plusieurs conditions et de respecter une procédure spécifique. Celle-ci permet au salarié d’être accompagné dans sa démarche et de s’assurer que le projet d’évolution professionnelle est suffisamment élaboré (caractère « réel et sérieux »).

Pour mémoire, il s’agit d’un dispositif né de la volonté gouvernementale de favoriser la mobilité professionnelle. La mesure avait été amorcée par les partenaires sociaux dans l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 22 février 2018 relatif à la réforme de l’Assurance chômage, qui prévoyait la mise en place de « l’allocation d’aide au retour à l’emploi projet » afin de sécuriser les mobilités professionnelles choisies. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018 a, par la suite, introduit dans le Code du travail les dispositions encadrant le dispositif de démission pour projet professionnel (art. L. 5422-1 et L. 5422-1-1). Plusieurs décrets (n°2019-796 et n°2019-797 du 26 juillet 2019) sont venus fixer les modalités de mise en œuvre du dispositif. Il est entré en vigueur le 1er novembre 2019.

Comment bénéficier du dispositif de démission pour projet professionnel ?

La mesure s’applique aux salariés dont la date de démission, au sens de l’article L. 1237-1 du Code du travail, est intervenue à compter du 1er novembre 2019, et qui satisfont par ailleurs aux conditions habituelles permettant de bénéficier de l’ARE (âge, aptitude physique, résidence sur le territoire national). Ils doivent, en outre, remplir certaines conditions d’attribution spécifiques, dont :

  • la justification d’au moins 1 300 jours travaillés au cours des 60 mois précédant la fin du contrat de travail, soit une activité continue pendant cinq ans ;
  • un projet de reconversion professionnelle « réel et sérieux » nécessitant soit le suivi d’une formation, soit un projet de création ou de reprise d’entreprise.

Les étapes de la demande

La première étape (Schéma 1) afin de pouvoir bénéficier du dispositif consiste, préalablement à la démission, à préparer le projet de reconversion avec l’aide du Conseil en évolution professionnelle (CEP). Le CEP est un service gratuit et accessible à tous les actifs, quels que soient le statut, l’âge, le secteur d’activité ou la qualification du bénéficiaire. Il permet, à tout moment de sa vie professionnelle, de faire le point sur sa situation professionnelle et d’accompagner un souhait d’évolution ou de transition. Pour les salariés du secteur privé ou les indépendants, le CEP est dispensé par des opérateurs régionaux mandatés par France Compétences, qui finance le dispositif et par France Travail pour les demandeurs d’emploi.

A l’issue du CEP, le salarié doit, toujours préalablement à sa démission, présenter son dossier de reconversion et adresser une demande d’attestation du caractère réel et sérieux de son projet professionnel à l’association Transitions Pro dans sa région de résidence principale ou de son lieu de travail. Transitions Pro examine le dossier et vérifie que les critères permettant d’attester du caractère réel et sérieux du projet professionnel sont remplis. En cas d’avis favorable, le bénéficiaire dispose d’un délai de 6 mois pour démissionner, s’inscrire à France Travail et déposer une demande d’allocation chômage. Le bénéficiaire percevra alors l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) dans les mêmes conditions de montant et de durée que les autres allocataires de l’Assurance chômage. De même, il pourra, le cas échéant, bénéficier du dispositif de cumul allocation-revenu ou mobiliser l’ARCE (aide à la reprise ou création d’entreprise).

Si Transitions Pro rend une décision défavorable, celle-ci doit être motivée et peut faire l’objet d’un recours dans un délai de 2 mois. Au plus tard 6 mois après son ouverture de droits, France Travail, dans le cadre du contrôle spécifique de la recherche d’emploi, vérifie que l’allocataire a bien mis en œuvre son projet professionnel. Si tel est le cas, l’indemnisation se poursuit, dans la limite des droits notifiés lors de l’ouverture de droits. A défaut, s’il est constaté l’absence de réalisation des démarches nécessaires à la mise en œuvre du projet professionnel, une radiation de la liste des demandeurs d’emploi pour une durée de 4 mois est prononcée et il est mis fin à l’indemnisation. Une reprise du versement des droits peut être sollicitée auprès de l’instance paritaire régionale (IPR) à l’issue d’un délai de 121 jours à compter de la radiation.

En 2023, environ 17 500 démissions pour projet professionnel

Si le dispositif a mis plusieurs années à monter en charge, en partie du fait des freins à la mobilité liés à la période Covid, le nombre d’entrées dans le dispositif a cru progressivement depuis (Graphique 1). En 2023, le nombre de nouveaux bénéficiaires était d’environ 17 500, soit un niveau proche de la borne inférieure par rapport aux attentes initiales évaluées entre 17 000 et 30 000 entrants annuels selon l’étude d’impact du projet de loi « Avenir professionnel ».

Il est cependant à noter que ce dispositif concerne une part négligeable des démissions enregistrées chaque année, à savoir moins de 1 % des 2,2 millions de salariés qui selon la Dares ont démissionné de leur emploi en 2023.

Côté Assurance chômage, plusieurs autres dispositifs permettent d’indemniser des personnes en situation de départ volontaire, de sorte qu’au total, près de 75 000 personnes ont ouvert un droit après un départ volontaire sur l’année 2023. En effet, cela comprend notamment 17 500 démissions-reconversions, 13 000 démissions pour suivi de conjoint, 2 000 démissions suite à un mariage et divers autres motifs (Les données dont l’Unédic dispose aujourd’hui ne permettent d’identifier précisément que certains motifs de départ volontaire).

475 M€ de dépenses annuelles pour l’Unédic

Fin 2023, 25 500 allocataires sont indemnisés par l’Assurance chômage au titre du dispositif (Graphique 2).

Les dépenses spécifiques au dispositif de l’ARE pour projet professionnel s’élèvent à 475 M€ en 2023 (Graphique 3), soit entre 1 et 2 % des dépenses d’indemnisation chômage pour cette même année. Soulignons que ces chiffres de bénéficiaires et de dépenses totales diffèrent de ceux de la publication Unédic de 2022 pour des raisons méthodologiques, qui sont explicitées dans l’Encadré 1.

Au final, depuis la mise en place du dispositif, ce sont plus de 51 000 allocataires qui ont bénéficié du dispositif pour 1 Md€ de dépenses d’allocation.

  • Encadré 1 – Une correction des données qui modifie le diagnostic établi en 2022

    Les bénéficiaires de l’ARE pour projet professionnel bénéficient de la même allocation et ont droit aux mêmes types d’accompagnement que les autres allocataires de l’Assurance chômage.

    Les 6 premiers mois après leur inscription, les demandeurs d’emploi bénéficiant du dispositif démission-reconversion sont identifiés par un code allocation spécifique (« are-démissionnaire »), différent de celui des bénéficiaires de l’ARE classique. Au bout de 6 mois, leur code allocation change pour basculer en ARE à l’instar des autres allocataires.

    Notre étude de 2022 identifiait les bénéficiaires du dispositif de démission pour projet professionnel à partir du code allocation « are-démissionnaire ». In fine, si le nombre d’entrées dans le dispositif était décompté correctement, le nombre de bénéficiaires de l’ARE pour projet professionnel indemnisés à un moment donné était donc sous-estimé (on dénombrait uniquement ceux entrés à l’Assurance chômage moins de 6 mois auparavant).

    Afin de suivre les bénéficiaires du dispositif sur la totalité de leur droit, les données ont été corrigées dans cette nouvelle publication. Le volume de bénéficiaires ainsi que les dépenses associées sont ainsi réestimées à la hausse.

    A noter que les données en open data de France Travail fournissent quant à elles les effectifs d’allocataires par type d’allocation et ne rendent donc compte que des bénéficiaires du dispositif dans leurs 6 premiers mois d’indemnisation.

Des profils plus diplômés, des salaires plus élevés, plus souvent des cadres 

Les bénéficiaires du dispositif de démission-reconversion ont des profils spécifiques, différents de l’ensemble des allocataires de l’Assurance chômage y compris ceux qui ont des droits longs, d’au moins 18 mois (Tableau 1) : ils sont plus diplômés que les bénéficiaires de l’ARE (76 % ont un niveau supérieur au bac contre 51 % pour l’ensemble des allocataires), plus souvent cadres (31 % contre 10 % dans l’ensemble) et souvent d’âge intermédiaire (77 % ont entre 30 et 50 ans, contre 45 % pour l’ensemble). Ils sont plus nombreux à être issus des secteurs « support à l’entreprise » ou « banque, assurance, immobilier ».

Leur salaire journalier de référence (SJR), qui sert à calculer le niveau de leur indemnisation chômage, est également plus élevé (110 € brut, contre 69 € pour l’ensemble des allocataires en ARE), leur allocation mensuelle est ainsi d’environ 1 850 € brut dans le cas où ils ne cumulent pas avec des revenus d’activité, contre 1 210 € pour l’ensemble des personnes indemnisées par l’Assurance chômage (Tableau 2). Tous les bénéficiaires du dispositif ouvrent des droits longs (18 mois au moins), en lien avec l’ancienneté en emploi requise pour bénéficier du dispositif, contre les deux tiers pour l’ensemble des ouvertures de droit en ARE sur la même période.

Des parcours d’indemnisation tournés vers la formation et la création d’entreprise

Fin novembre 2023, 39 % des allocataires en démission-reconversion ont exercé une activité rémunérée à un moment donné depuis leur ouverture de droit chômage alors que c’est le cas de 62 % parmi l’ensemble des allocataires.

Aussi, plus des deux tiers des personnes entrées dans le dispositif depuis 2019 sont créateurs d’entreprise et/ou exercent une activité non salariée : 48 % déclarent de l’activité non salariée, et parmi eux, 35 % sont entrés en parcours créateur d’entreprise auprès de France Travail et 15 % ont perçu l’aide à la reprise ou à la création d’entreprise (ARCE) (à noter : les allocataires peuvent demander l’ARCE après avoir exercé une activité non salariée en étant indemnisé en ARE. Ainsi, ces populations peuvent se recouper partiellement. Tout confondu, 66 % des allocataires démissionnaires se trouvent dans une de ces situations) (Graphique 4).

En outre, les allocataires de l’ARE pour projet professionnel entrent plus fréquemment en formation lors de leur passage au chômage : durant leur droit, 37 % ont déjà suivi une formation. Ils ne sont que 15 % parmi les autres allocataires de l’Assurance chômage.

Parmi l’ensemble des bénéficiaires du dispositif de démission-reconversion ayant au moins 6 mois d’ancienneté dans leur droit chômage, 12 % d’entre eux n’ont à ce stade (en mai 2024) ni suivi de formation, ni exercé d’activité non salariée et ne se sont pas inscrits dans un parcours créateur d’entreprise depuis leur ouverture de droit à l’Assurance chômage, 15 % ont fait les 2 (Tableau 1).

Tableau 1 - Répartition des bénéficiaires en fonction de leur parcours durant leur indemnisation

 

Création d’entreprise et/ou activité non salariée

Pas de création d’entreprise ni d’activité non salariée ni d'ARCE

Total

Formation

15 %

22 %

37 %

Pas de formation

51 %

12 %

63 %

Total

66 %

33 %

100 %

Source : Fichier national des allocataires, (FNA), Unédic.
Champ : allocataires ayant un droit ouvert depuis au moins 6 mois, c’est-à-dire entre la mise en place du dispositif et novembre 2023.

Tableau 2 - Profils des allocataires démissionnaires pour projet professionnel et de l'ensemble des allocataires

 

 

Démissions pour projet professionnel

Ensemble des droits ARE d’au moins 
 18 mois

Ensemble des droits ARE

Effectif 

Nombre de personnes ayant un droit en cours

25 470

1 654 493

2 477 716

Sexe

Femme

49 %

51 %

50 %

Homme

51 %

49 %

50 %

Total 

100 %

100 %

100 %

Age

(à la fin du dernier contrat de travail)

Moins de 30 ans

12 %

26 %

32 %

De 30 à moins de 40 ans

51 %

27 %

26 %

De 40 à moins de 50 ans

27 %

20 %

19 %

 50 ans ou plus

10 %

27 %

22 %

Total

100 %

100 %

100 %

Niveau de formation

Inférieur au Bac

24 %

47 %

49 %

BAC à BAC+2

44 %

35 %

34 %

BAC+3 ou plus

32 %

18 %

17 %

Total

100 %

100 %

100 %

CSP

Cadre

31 %

13 %

10 %

Non cadre

66 %

76 %

80 %

Manquant

3 %

10 %

10 %

Total

100 %

100 %

100 %

Région de résidence 

Auvergne-Rhône-Alpes

17 %

12 %

12 %

Bourgogne-Franche-Comté

5 %

4 %

4 %

Bretagne

6 %

5 %

5 %

Centre-Val de Loire

4 %

4 %

4 %

Corse

0 %

1 %

1 %

DROM-COM

2 %

3 %

3 %

Grand Est

10 %

8 %

8 %

Hauts-de-France

7 %

8 %

8 %

Ile-de-France

12 %

18 %

17 %

Normandie

5 %

4 %

4 %

Nouvelle-Aquitaine

11 %

10 %

9 %

Occitanie

9 %

10 %

11 %

Pays de la Loire

6 %

5 %

5 %

Provence-Alpes-Côte d'Azur

6 %

9 %

9 %

Total

100 %

100 %

100 %

Métier recherché

Agriculture et pêche, espaces naturels et espaces verts, soins aux animaux

4 %

4 %

5 %

Arts et façonnage d'ouvrages d'art

1 %

1 %

1 %

Banque, assurance, immobilier

8 %

2 %

2 %

Commerce, vente et grande distribution

14 %

14 %

14 %

Communication, média et multimédia

3 %

3 %

3 %

Construction, bâtiment et travaux publics

11 %

8 %

8 %

Hôtellerie-restauration tourisme loisirs et animation

5 %

8 %

10 %

Industrie

5 %

6 %

7 %

Installation et maintenance

4 %

4 %

4 %

Santé

5 %

3 %

3 %

Services à la personne et à la collectivité

13 %

19 %

18 %

Spectacle

1 %

1 %

1 %

Support à l'entreprise

21 %

18 %

16 %

Transport et logistique

4 %

9 %

10 %

Total

100 %

100 %

100 %

Durée du droit

Moins de 18 mois

0 %

0 %

33 %

18 mois et plus

100 %

100 %

67 %

Total

100 %

100 %

100 %

Salaire journalier de référence (SJR)

Montant moyen brut 

110€

77€

69€

Allocation mensuelle

Montant moyen brut théorique

1847€

1334€

1209€

Champ : allocataires à fin décembre 2023, régime général.
Source : Fichier national des allocataires, (FNA), Unédic.