Analyses

Catastrophes naturelles et recours à l'activité partielle

L'activité partielle est financée à hauteur d'un tiers par l'Unédic. Dans quelle mesure les événements climatiques extrêmes engendrent-ils un recours à ce dispositif de soutien aux entreprises ? Peut-on en estimer le coût pour l'Assurance chômage ? Pour la première fois, une étude apporte des éléments de réponse.

24 avril 2025 - Oana Calavrezo, Stéphanie Terrasse et Kim Noël

L’activité partielle est un dispositif de politique publique ancien, mis en place dès 1918 en France et conçu comme un outil de lutte contre les licenciements pour motif économique. Depuis la crise Covid et la mobilisation massive de l’activité partielle, les employeurs connaissent davantage ce dispositif. Sur la période récente, cette mesure est apparue comme une réponse rapide à différents chocs (crise des gilets jaunes, conséquences de la guerre en Ukraine, violences urbaines…), les dispositifs destinés aux entreprises pour faire face à des difficultés conjoncturelles n’étant pas nombreux en France. De nombreux États européens ont recours à des mesures d’activité partielle sous des formes un peu différentes mais qui répondent aux mêmes objectifs.

A lire : L'activité partielle mobilisée face à la crise Covid-19

L’utilisation de l’activité partielle est encadrée par la loi. Parmi les motifs de recours figurent les sinistres ou les intempéries de caractère exceptionnel. Elle peut donc être mobilisée par les entreprises dans des situations en lien avec des événements météorologiques ou climatiques extrêmes comme par exemple les inondations, les fortes sécheresses, les incendies de forêt ou les tempêtes. Le recours à l’activité partielle dans le cadre des catastrophes naturelles est un sujet d’actualité (voir les inondations en Espagne à l’automne 2024 ou le cyclone Chido à Mayotte, mi-décembre 2024) qui reste encore peu traité dans la littérature économique. La question de la mobilisation de ce dispositif en lien avec les catastrophes naturelles se pose encore plus fortement dans le contexte d’un changement climatique de plus en plus manifeste.

Une première étape dans l'étude de l'utilisation de l'activité partielle face aux catastrophes naturelles

Ce travail représente une première étape dans l’étude de l’utilisation de l’activité partielle pour catastrophes naturelles. L’objet de cette analyse est d’investiguer les liens entre catastrophes naturelles et recours à l’activité partielle au niveau de la commune en France métropolitaine. Plus précisément, nous souhaitons répondre à plusieurs questions : la survenue des catastrophes naturelles est-elle reliée à une utilisation de l’activité partielle par les entreprises dans la commune ? De quelle ampleur ? Dépend-elle de la nature de la catastrophe naturelle ? Si des liens entre les deux phénomènes existent, changent-ils dans le temps, notamment après la crise de la Covid-19 et la plus ample connaissance du dispositif par les employeurs ?

A lire : Le recours à l'activité partielle face à des crises nouvelles

Pour y répondre, nous étudions la corrélation entre recours à l’activité partielle (AP) et survenue de catastrophes naturelles. Nous mobilisons trois sources de données (données Gaspar qui renseignent sur les catastrophes naturelles reconnues par arrêtés interministériels, données administratives exhaustives d’activité partielle et données relatives à la structure de l’économie au niveau communal) et nous adoptons une démarche prospective qui s’appuie sur des techniques d’intelligence artificielle (IA) générative pour identifier le recours à l’activité partielle pour catastrophe naturelle à partir de données textuelles. Notre analyse s’intéresse donc à un angle précis relatif aux catastrophes naturelles. Elle n’a pas l’objectif d’aborder ni la problématique de la gestion locale des catastrophes naturelles dans son ensemble ni la dimension assurantielle des catastrophes naturelles.

A retenir

  • À notre connaissance, il s’agit de la première analyse sur les corrélations entre catastrophes naturelles et activité partielle réalisée sur le cas français. Ce travail a une dimension prospective forte, illustrée en partie par l’utilisation de l’IA générative pour mesurer le recours à l’activité partielle pour catastrophe naturelle.
  • Sur la période 2015-2022, on dénombre près de 37 000 cas où une commune de France métropolitaine a connu une catastrophe naturelle reconnue par arrêté. Sur les 35 000 communes de France métropolitaine, près de 18 000 d’entre-elles ont été concernées au moins une fois par une catastrophe naturelle entre 2015 et 2022. Dans 9 cas sur 10 où une commune a connu une catastrophe naturelle entre 2015 et 2022 en France métropolitaine, il s’agit d’un épisode de sécheresse ou des inondations.
  • Le coût de l’activité partielle directement liée aux évènements météorologiques est aujourd’hui encore plutôt faible. Entre 2015 et 2022, nous estimons les dépenses d’activité partielle pour sinistre d’origine météorologique entre 2 et 19 M€ par an.

  • Notre étude met en avant la rareté du recours à l’activité partielle pour catastrophe naturelle. En 2022, en moyenne, 0,3 % des communes de France métropolitaine ont vu une ou plusieurs de leurs entreprises avoir recours à l’activité partielle pour sinistre d’origine météorologique. 
  • Sur l’ensemble de la période (i.e. 2015-2022), on trouve que « toutes choses étant égales par ailleurs », les communes ayant connu au moins une catastrophe naturelle sur le mois ont 3,2 fois plus de risque d’avoir connu un recours à l’activité partielle pour sinistre d’origine météorologique dans le mois par rapport aux communes sans catastrophes naturelles. Autrement dit, la probabilité de recours à l’activité partielle est supérieure dans les communes ayant connu une catastrophe naturelle. Ce résultat témoigne de l’importance de ce dispositif pour les entreprises et les salariés dans la réponse à des chocs météorologiques ou climatiques et invite à une réflexion plus large sur l’adaptation des mesures d’activité partielle à ce type de chocs. 
  • Le résultat est plus fort pour les inondations car ces dernières font partie des catastrophes naturelles ayant un impact beaucoup plus ciblé et immédiat sur l’activité des entreprises. Ainsi, sur l’ensemble de la période et « toutes choses étant égales par ailleurs », on trouve que, les communes qui ont connu au moins une inondation sur le mois ont 14,4 fois plus de risque d’avoir connu un recours à l’activité partielle pour sinistre d’origine météorologique dans le mois par rapport aux communes sans inondations. 
  • Notre analyse met également en avant l’existence des effets indirects des catastrophes naturelles sur la mobilisation de l’activité partielle au sein de la commune captés à travers le recours au dispositif pour d’autres motifs que les sinistres d’origine météorologiques : les communes ayant connu au moins une catastrophe naturelle sur le mois ont 1,4 fois plus de risque d’avoir connu un recours à l’activité partielle hors sinistres d’origine météorologique dans le mois par rapport aux communes sans catastrophes naturelles. La catastrophe affecterait la situation économique de la commune et donc par ricochet conduirait des entreprises indirectement affectés par les catastrophes naturelles à recourir à l’activité partielle.
  • Ce travail ne dégage pas de résultat par rapport à l’évolution des corrélations en lien avec la crise de la Covid-19. Cela pourrait s’expliquer par le fait que « l’effet apprentissage » n’intervient pas au niveau des catastrophes naturelles mais au niveau de l’utilisation de l’activité partielle pour des motifs autres que les catastrophes naturelles.