Forêts ravagées par les flammes, canicules suffocantes, orages dévastateurs, hiver trop sec… Ces derniers mois, les événements climatiques extrêmes ont percuté le quotidien des Français avec brutalité. Cette actualité parfois dramatique, propice aux prises de conscience, n'est pourtant qu'un accélérateur dans ce que Laurence Bedeau, associée au sein de l'institut Elabe, qualifie sans détour de « révolution de l'opinion » face au dérèglement climatique. « Depuis plusieurs décennies dans notre pays, l'écologie était la cause de préoccupation et d'engagement d'une partie plus militante de la population, un sujet conjoncturel et ponctuel dans le cadre d'accidents écologiques, tels que la catastrophe de l'“Erika”, qui provoquaient une inquiétude. Au bout de quelques jours, quelques semaines parfois, cette inquiétude refluait. Les choses ont commencé à évoluer en 2008-2009, sous la conjonction des discours de lanceurs d'alerte comme Al Gore et de catastrophes climatiques lointaines mais qui commençaient à se multiplier dans le monde. Et, il y a cinq à six ans, la préoccupation est devenue majoritaire, de façon constante », explique-t-elle.
Avec l'enquête « Le travail en transitions », l'Unédic entend mettre en lumière la manière dont les grandes transformations du monde du travail sont perçues par les actifs. Le premier volet, dont les résultats sont publiés ici, analyse le rapport de l'opinion au changement climatique, sous deux prismes : personnel et professionnel. Réalisée par Elabe, cette étude confirme que la préoccupation est ultra-majoritaire : 85% des actifs se déclarent préoccupés par le changement climatique et la situation de l'environnement. Plus d'un sur cinq se déclare même « anxieux, angoissé par l'avenir ». « Ces personnes se posent des questions existentielles. Pour elles, l'inquiétude s'est mue en une peur qui peut être paralysante », constate Laurence Bedeau.
Dans ce contexte de grande préoccupation, les actifs désignent majoritairement (77%) l'État comme l'acteur qui devrait agir sur les questions écologiques et environnementales. Cependant, les entreprises sont également fréquemment citées (50%), tout comme… les citoyens eux-mêmes (49%). « Certes, l'État est cité en premier mais les entreprises et les citoyens ne sont pas oubliés. On ne peut donc pas considérer que les actifs abdiquent toute responsabilité, ni d'ailleurs que ces résultats s'inscriraient dans une mécanique bien française où l'on attendrait trop du pouvoir régalien », note Laurence Bedeau.
La dégradation des conditions de travail, première conséquence du changement climatique sur la vie professionnelle
Lorsqu'on demande aux actifs de désigner, dans le cadre d'une question ouverte, les conséquences du changement climatique sur leur vie personnelle, ils sont près d'un quart (24%) à citer les températures extrêmes et les catastrophes naturelles. La même proportion évoque un quotidien plus sobre. Une part substantielle (14%) mentionne une augmentation du coût de la vie. Les expressions spontanées revêtent parfois une dimension poignante (« Je n'aurai pas d'enfant, c'est un sacrifice », « Je m'inquiète pour l'avenir de ma famille »…), même si ces manifestations d'anxiété ne sont pas majoritaires (8%).
Au chapitre professionnel, c'est la dégradation des conditions de travail qui est assez nettement en tête des conséquences perçues (16%). Les canicules ont laissé des traces chez ces actifs, qui évoquent « des bureaux et transports impraticables en été » ou la baisse de performance liée à la chaleur. « C'est la preuve que la question écologique n'est plus une question théorique. C'est perçu à travers la question sanitaire – “je suis plus souvent malade”, “la respiration est difficile”. C'est aussi la conscience de l'impact de nos choix collectifs et individuels, qui interroge sur la façon que l'on a de vivre, de consommer, de travailler. Ces éléments sont centraux dans l'évolution récente de l'opinion », analyse Laurence Bedeau.
Pour aller plus loin : Notre dossier « le travail en transitions » dans le rapport d'activité 2022 de l'Unédic
S'ils partagent très largement les inquiétudes relatives au changement climatique, les actifs apparaissent quelque peu démunis face à la nécessité d'acquérir une culture écologique. Une part importante (25%) déclare d'ailleurs ne pas savoir si son travail a un impact négatif ou positif en matière environnementale. Autre indicateur : plus de la moitié des sondés (54%) estime que le niveau de compétences des actifs n'est pas à la hauteur des enjeux écologiques. Les formations professionnelles sont jugées à cet égard insuffisantes par 45% des sondés, une proportion qui paraît d'autant plus importante que 23% déclarent ne jamais suivre de formation. Un actif sur cinq considère pourtant qu'avoir de bonnes connaissances de ces enjeux est « indispensable » et 52% y voient « un bonus, sans être indispensable ». « C'est la traduction de la révolution d'opinion qui s'est opérée : à la fois, un besoin de mise en cohérence des préoccupations personnelles avec les activités professionnelles et la perception, aussi, que ces compétences jouent sur l'employabilité, parce que, qu'on le veuille ou non, un certain nombre de métiers vont évoluer », estime Laurence Bedeau.
"L'engagement écologique est désormais un déterminant de la relation à l'employeur"
Pour les employeurs, un enjeu d'attractivité émerge. L'enquête montre en effet que 7 salariés sur 10 jugent qu'un engagement actif de leur entreprise en faveur de la protection de l'environnement les inciterait à y rester durablement. Pour 44%, des pratiques allant à l'encontre de la transition écologique pourraient être un motif de départ. Le schéma se répète dans la perspective de recrutements : 62% des actifs voient dans l'engagement écologique d'une entreprise un motif qui les inciterait à y postuler. Pour 48%, l'absence d'engagement actif serait un repoussoir. Laurence Bedeau relève que « toutes les catégories de population, quel que soit le critère que vous considérez, s'accordent sur le fait que la transition écologique est désormais un déterminant de la relation à un employeur ». Preuve que, comme d'autres aspects de l'activité humaine, le monde du travail est lui aussi déjà bousculé par le changement climatique.
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Méthodologie de l'enquête
Cette étude a été réalisée en ligne par l’institut Elabe, du 25 novembre au 5 décembre 2022, auprès d’un échantillon représentatif de 2003 actifs de France métropolitaine, âgés de 18 ans et plus. La représentativité est assurée selon la méthode des quotas appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, catégorie d’agglomération, région de résidence, type d’actif (en emplois salariés et non-salariés/demandeurs d’emploi), secteur d’activité, type de contrat et nature de l’employeur (privé/public).